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De l’Oua Ă  l’Onu : Le combat d’Abdou Bakari Boina pour l’indĂ©pendance

De l’Oua Ă  l’Onu : Le combat d’Abdou Bakari Boina pour l’indĂ©pendance

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Suite Ă  la disparition de celui qui a Ă©tĂ© l’un des plus grands combattants de l’indĂ©pendance des Comores et leader emblĂ©matique du Mouvement pour la libĂ©ration nationale des Comores (Molinaco), Abdou Bakari Boina, nous reprenons un article que nous lui avons consacrĂ© dans nos “Lettres aux Assises nationales”, le 5 janvier 2018.

 
DĂšs la fin des annĂ©es 1950, un vent nouveau souffle sur le monde. Sur l’Afrique. Un vent qui portait le doux nom d’ “IndĂ©pendance”. De doux, il n’y avait que le nom. Le reste Ă©tait franchement tumultueux. Aussi, dĂšs 1963, Abdou Bakari Boina, leader incontestĂ© et incontestable du Mouvement de libĂ©ration nationale des Comores (Molinaco) a arpentĂ© l’Afrique et le monde pour faire entendre la question comorienne et donc sa libĂ©ration.

Le combat a commencĂ© Ă  l’Organisation de l’unitĂ© africaine, Oua (aujourd’hui : Union  africaine) et s’est poursuivi Ă  l’Onu. Un combat qui, Ă  ce niveau, ne sera pas achevĂ© tant que nous n’aurons pas recouvert notre intĂ©gritĂ© territoriale.

Aussi, dĂšs 1963 Abdou Bakari Boina avec le Mouvement de LibĂ©ration des Comores, le  Molinaco, dont il finira par devenir le leader incontestĂ©, sillonne le monde, rencontre des ambassadeurs, des ministres, se bat auprĂšs de l’Organisation de l’unitĂ© africaine afin que celle-ci nous accompagne dans notre combat dans l’accession Ă  la souverainetĂ©, au travers justement du “ComitĂ© de libĂ©ration” dont le siĂšge est Ă©tabli en RĂ©publique unie de Tanzanie. CrĂ©Ă© en 1963, cet organe Ă©tait incontournable pour son aide militaire, financiĂšre ou logistique aux mouvements de libĂ©ration des pays africains.


“Les francophones votaient contre nous !”

Mais la France ne fut jamais trĂšs loin. Elle exerçait son influence Ă  l’Oua, au travers des pays  francophones, ses anciennes colonies. Si bien qu’Abdou Bakari Boina dĂ©plorera : “les pays  francophones Ă©taient plus durs que la France elle-mĂȘme”. Le jeune leader ne se dĂ©couragera pas pour autant. Loin de lĂ . Tous les ans, il pĂ©titionnera lors des rĂ©unions ordinaires de l’Oua et lors du sommet. Deux fois dans l’annĂ©e sans relĂąche. Le Mouvement avait besoin de l’aide du ComitĂ© de libĂ©ration. Mais,

 

hélas, quand il fallait prendre une décision, les pays francophones votaient systématiquement contre nous.

 

La main de la France Ă©tait encore longue mĂȘme chez ceux qui avaient dĂ©jĂ  acquis l’indĂ©pendance.  Abdou Bakari Boina se souvient, particuliĂšrement, du reprĂ©sentant du SĂ©nĂ©gal au ComitĂ© de LibĂ©ration. La mĂ©moire de l’octogĂ©naire vacille un peu, il n’est pas sĂ»r de l’annĂ©e mais penche plus pour 1965. Donc, ce jour-lĂ , le reprĂ©sentant du pays de Senghor, a demandĂ© Ă  ce que la dĂ©lĂ©gation comorienne soit chassĂ©e. Il dira, selon notre interlocuteur : “que les Comoriens soient chassĂ©s, elles se trouvent sous la loi cadre Defferre” (Citation de mĂ©moire).

La rĂ©ponse du leader du Molinaco est sans appel et provoquera le courroux de son vis-Ă -vis : “si la loi cadre Ă©tait suffisante, pourquoi le SĂ©nĂ©gal a-t-il accĂ©dĂ© Ă  son indĂ©pendance”, avait-il lancĂ©.
Le SĂ©nĂ©galais contrariĂ© par la rĂ©partie du Comorien et arguera : “vous n’avez pas Ă  parler de la sorte au reprĂ©sentant d’un Etat souverain”. Il rĂ©itĂšrera sa demande de voir “chasser” les Comoriens.


Le combat d’Abdou Bakari Boina pour...

Le prĂ©sident de sĂ©ance, fort heureusement, qui Ă©tait le ministre des Affaires Ă©trangĂšres du Nigeria de l’époque, un anglophone donc, s’y opposa. De 1963 Ă  1968, Ă  tous les sommets, le rapport du ComitĂ© de libĂ©ration, en ce  qui concerne le passage relatif au cas comorien â€œĂ©tait systĂ©matiquement rejetĂ©, ce qui fait que la question n’a jamais Ă©tĂ© dĂ©battue au sommet”.

L’annĂ©e 1968 amorce un cap qui sera dĂ©cisif pour le pays. Il y a d’abord la grĂšve des Ă©lĂšves du lycĂ©ens de Moroni et la guerre du Biafra. Ces deux Ă©vĂ©nements vont positivement impacter le combat du Mouvement de libĂ©ration nationale des Comores. La grĂšve a eu un certain Ă©cho Ă  l’international. Et la guerre du Biafra, survenue un an plus tĂŽt au Nigeria, entrainera, comme nous le verrons plus loin, un large soutien des pays anglophones.


Viser loin !

En effet, le 30 mai 1967, le gouverneur Odumegwu Ojukwu proclame la “RĂ©publique indĂ©pendante du Biafra”. La France, dans ce combat fratricide soutient les
 sĂ©cessionnistes. Avec le Nigeria, nous avions, donc, un ennemi commun, la France.

 

Le soutien de l’ancienne puissance coloniale aux sĂ©paratistes biafrais aura une heureuse incidence sur la question comorienne au sein de l’Oua. Le prĂ©sident du Nigeria, de l’époque, Gowon, dĂ©cidera de nous soutenir, et entrainera dans son sillage nombre de pays anglophones. Cette annĂ©e lĂ , la question comorienne atterrira au niveau du Conseil de l’Oua et y sera dĂ©battue. 

 

Ce ne fut pourtant pas facile. Le Malgache,Philibert Tsiranana, aura tentĂ© de peser de tout son poids allant jusqu’à menacer de quitter la salle si la question comorienne Ă©tait traitĂ©e. Parce que la partie comorienne visait loin. Elle voyait dĂ©jĂ  les Nations unies, plus prĂ©cisĂ©ment le “ComitĂ© spĂ©cial des Vingt Quatre”. Celui-ci fut crĂ©Ă© en 1961 et Ă©tait chargĂ© d’étudier la situation en ce qui concerne l’application de la DĂ©claration sur l’octroi de l’indĂ©pendance aux pays et peuples coloniaux.

“Tsiranana fut vaincu parce que de nombreux pays ont votĂ© en faveur des Comores,  grĂące, comme je le disais, au Nigeria qui a su drainer plusieurs pays qui nous ont Ă©tĂ© favorables”.


Quand Abdou Bakari Boina se fñche


Une annĂ©e plus tard, en 1969, Abdou Bakari Boina allait ĂȘtre confrontĂ© Ă  une situation fĂącheuse, cette fois au SĂ©nĂ©gal pays qui Ă©tait, par ailleurs, membre du ComitĂ© de libĂ©ration.  Le SĂ©nĂ©gal Ă©tait considĂ©rĂ© comme faisant partie du prĂ©-carrĂ© français. Une rĂ©union du ComitĂ© de libĂ©ration Ă©tait, donc, prĂ©vue Ă  Dakar. Au menu du programme, le prĂ©sident de l’époque devait recevoir les leaders des mouvements de libĂ©ration des pays africains.

“Nous nous sommes apprĂȘtĂ©s Ă  y aller, mais contre toute attente, on nous fit comprendre que les dĂ©lĂ©guĂ©s des Comores et de Djibouti n’allaient pas ĂȘtre reçus”, se remĂ©more notre interlocuteur. Surprise, Ă©tonnement, colĂšre. Notre leader ne comprenait pas. Cette dĂ©cision Ă©tait fort contestable. Rapidement, il dĂ©cide d’agir. Sans tergiversation aucune.


La question de la libération

Le jeune leader dĂ©cide de contester cette dĂ©cision. Avec fermetĂ©, il fait parvenir un message au ministre des Affaires Ă©trangĂšres de l’époque, Amadou Karim Gaye.

 

Je l’ai averti que je prenais acte de la dĂ©cision sĂ©nĂ©galaise en prenant soin de prĂ©ciser que je tiendrai une confĂ©rence de presse dans le premier pays africain dans lequel j’atterrirai pour dĂ©noncer cet acte.

 

L’argument fit mouche et ne le laissa pas indiffĂ©rent. “Il m’a reçu Ă  son bureau le lendemain avec tout son staff et nous avons discutĂ© pendant prĂšs de deux heures de temps”.
Au cours de l’entretien, le patron de la diplomatie sĂ©nĂ©galaise Ă  l’époque lui a fait cette proposition : “n’organisez pas de confĂ©rence de presse et je vous promets l’aide du SĂ©nĂ©gal, me dira-t-il. Evidemment, j’ai demandĂ© toutes les garanties possibles et imaginables. Toujours est-il que l’attitude du pays de la Terranga a changĂ©. Il n’a pas fait de dĂ©claration de soutien Ă  notre endroit mais il ne votait plus contre nous”.

Si bien que quand Abdou Bakari Boina a commencĂ© Ă  se rendre aux Nations unies, en 1970, les SĂ©nĂ©galais prĂ©sents lĂ -bas, faisaient partie de ceux qui lui apportaient leur aide, plus particuliĂšrement, le reprĂ©sentant du SĂ©nĂ©gal Ă  l’Onu, Mamadou Fall.
A l’Onu, ce ne fut guĂšre plus facile. En 1969, le dĂ©lĂ©guĂ© de la Tanzanie auprĂšs de la 4Ăšme commission a posĂ© la question de l’inscription lors du sommet, mais Madagascar s’y est, encore une fois, opposĂ©.

 

 

“La Grande Ile a demandĂ© que lesecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’Oua, Diallo Telli, livre des informations supplĂ©mentaires, ce qui Ă©tait juste un moyen de bloquer la question”, se rappelle Abdou Bakari Boina. La position malgache changera avec l’avĂšnement du militaire Gabriel Ramanantsoa Ă  la tĂȘte du pays en 1972. Et l’inscription de la question comorienne sera, enfin, inscrite Ă  l’ordre du jour des Nations unies.

 

Nous ne pouvions pétitionner devant le Comité des 24 tant que les Comores ne figuraient pas sur la liste des pays à décoloniser.


En 1973, le Molinaco fut, enfin, invitĂ© Ă  la 4Ăš Commission des Nations unies laquelle traite de la dĂ©colonisation, entre autres. “Nous avons pĂ©titionnĂ© devant elle”. La pĂ©tition Ă©tait composĂ©e de la prĂ©sentation gĂ©ographique des Comores, de son histoire et de l’aide que devraient nous apporter les Nations unies pour acquĂ©rir notre indĂ©pendance. Abdou Bakari Boina reprend : “nous avons attirĂ© leur attention quant aux manƓuvres françaises”.

Il faut, Ă  ce propos, rappeler qu’en 1972, le premier ministre français, Pierre Mesmer, Ă©tait venu aux Comores en brandissant la menace du rĂ©fĂ©rendum Ăźle par Ăźle si le pays persĂ©vĂ©rait dans l’idĂ©e de recouvrer sa souverainetĂ©.

 

Nous avons saisi cette opportunitĂ© pour parler du danger qui  couvait. Le jour oĂč nous avons pĂ©titionnĂ© d’ailleurs, le dĂ©lĂ©guĂ© français a quittĂ© la salle.

 

A partir de cette annĂ©e, la 4Ăš Commission dĂ©battait de la question comorienne. Entre 1970 et 1975, le fervent dĂ©fenseur de l’indĂ©pendance se rendait aux Nations unies durant l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale. En 1975, le 06 juillet, Ahmed Abdallah AbdĂ©rĂ©mane proclamait unilatĂ©ralement l’indĂ©pendance des Comores Ă  la Chambre des dĂ©putĂ©s.



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