logo Al-Watwan

Le premier journal des Comores

Diantre que l’aile de poulet me manque

Diantre que l’aile de poulet me manque

Rencontre cards Rencontrer bernard tapie | - Rencontre lasallienne   Rencontre uoif en direct

image article une
« Je m’arrache les cheveux parce que je ne peux pas tenir le rythme, mon maigre salaire ne suit pas. Je ne peux pas acheter de la viande à 4000 francs le kilo ni du poisson au même prix (ou prou) quotidiennement. J’ai besoin de mon aile violacée, à l’odeur pas nette, avec du sang coagulé pour pouvoir manger une fois par jour. Et avec moi, l’écrasante majorité des Comoriens ».

 

Il faut que je vous dise, que je vous fasse une confidence. Je le dis à mon corps défendant, le cœur écartelé. J’avoue honteusement et piteusement que le poulet me manque. La graisse des ailes de grade B, me manque. Mon estomac la réclame. Mon cerveau croit la voir partout. Il me joue des tours, ce cerveau. Pourtant quand l’aile était disponible, je l’achetais presque contre mon gré, elle la cause des maladies chroniques et autres accidents vasculaires cérébraux.

Dans les congélateurs des supermarchés, je la tâtais, la sentais, la reniflais, la scrutais pour me convaincre qu’elle méritait d’atteindre mon palais. Je rejetais d’emblée celle dont la couleur me paraissait suspecte. Je tolérais celle qui était rose virant vers une couleur autre que le jaune ou le violet.

Le tour de nos commerces

Les ailes, je les préférais sans sang coagulé, sans trop de plumes qui ont résisté au plumage industriel. Je recherchais des ailes toutes roses, toutes dodues, charnues, joufflues. Bon, il y a le rêve hein et la disponibilité du produit. Souvent après avoir fait le tour de nos commerces, désespérée de trouver l’aile de mes rêves, je me contentais de celle de la réalité. Je me sens obligée de vous la décrire. L’aile de la réalité est violacée, avec du sang coagulé et une odeur pas nette. Je cuisinais mon poulet sauté avec force marinade pour camoufler tout cela. L’ail est plus fort que l’aile, je vous dis. Mes ailes, franchement, dès lors qu’elles ne flottaient pas dans une sauce liquide rougeâtre remportaient un franc succès.


L’autre alternative est de les griller, la moutarde et le poivre accomplissant des miracles. D’ailleurs, y a-t-il odeur plus alléchante que celle de l’aile grillée ? Cette odeur si caractéristique me manque et manque aux nuits de Moroni, à ses noctambules. Doux fumet qui embaumait ma ville. Seulement voilà, cela fait des semaines que je n’ai pas vu l’ombre d’une aile de poulet, les mshakikiman et mshakikiwomen l’ont même remplacée par « des saucisses ».

 

J’en rêve dans mon sommeil, je me vois tenant entre mes doigts un os de poulet. Dès que je me réveille, je pars à sa recherche, pour l’instant en vain. Pourtant, je dispose d’un carnet d’adresses, des numéros de pas mal d’opérateurs économiques importateurs de produits carnés, d’interlocuteurs qui travaillent au port et à la douane, le contact de grossistes et de détaillants, et personne pour me dire quand l’aile de la réalité sera de nouveau disponible en Union des Comores. Lorsque je pose la question, généralement sur WhatsApp, l’on me répond doctement par le lien d’un article faisant état de la grippe aviaire en Europe et ses 50 millions (au moins) de volailles abattues. Ou l’on me dit « que telle cargaison d’ailes est bloquée depuis DES semaines au port de Longoni».

Aucun message positif ne me parvient

Autre raison invoquée, la guerre en Ukraine, la déliquescence de nos infrastructures portuaires, le départ de Maersk (plus grand armateur de porte-conteneurs au monde qui a arrêté de desservir la destination Comores depuis l’année dernière). Aucun message positif ne me parvient, pourtant Dieu seul sait à quel point j’en ai besoin, en ce début d’année où je voulais croire que tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes.


Je sursaute à chaque réponse obtenue de mes interlocuteurs venant du monde de la volaille. Je dois cependant vous avouer que j’ai reçu la moitié d’une bonne nouvelle. Il y aurait en ce moment des ailes au port de Moroni, dans l’attente d’être dédouanées. La mauvaise nouvelle étant qu’elles ont toutes trouvé preneurs.

Je m’arrache les cheveux parce que je ne peux pas tenir le rythme, mon maigre salaire ne suit pas. Je ne peux pas acheter de la viande à 4000 francs le kilo ni du poisson au même prix (ou prou) quotidiennement.J’ai besoin de mon aile violacée de grade B avec des marques de sang coagulé, mon aile à l’odeur pas nette, pour pouvoir manger une fois par jour. Et avec moi, l’écrasante majorité des Comoriens.

Commentaires