L’ouverture des audiences devant la cour de sûreté de l’Etat prévues pour durer trois jours, du 19 au 21 mars au palais de justice de Mutsamudu (lire pages 2 et 6), relance le débat sur la légitimité de cette juridiction d’exception. Pour certains avocats, celle-ci n’a pas lieu d’être car incompatible, selon eux, aux principes fondamentaux de la démocratie. “Nous ne pouvons pas envisager de faire des Comores un pays émergeant et s’accrocher à des infractions imaginaires telle l’atteinte à la sureté de l’Etat. Comment peut-on continuer à penser à une éventuelle atteinte à la sureté de l’Etat, si pour accéder au pouvoir, on passe par les urnes”, indique un avocat. Des défenseurs des droits humains estiment que cette juridiction agirait “en totale contradiction avec ces droits”.
La loi 20-020/Au du 12 décembre 2020
La Cour de sûreté de l’Etat est considérée comme étant “illégale” par Me Moudjahidi Abdoulbastoi, lors de ses dernières audiences, précisant ainsi qu’elle ne figurerait pas dans l’architecture judiciaire du pays. Selon ses propos, “la cour de sûreté de l’Etat ne figure pas dans la configuration judiciaire du pays conformément à la loi sur l’organisation de la justice comorienne de 2005”. Ce débat est revenu en 2020 lors de la réforme de la loi portant organisation judiciaire, qui laisse miroiter une abrogation de cette juridiction d’exception.
À l’époque, des avocats comme Me Azad Mzé parlaient “d’une victoire pour la démocratie”. De son côté, Me Abdou Elwahab M’sa, se réjouissait de la possibilité de mettre fin à l’emploi de l’exception. L’avocat avait déclaré que “ l’élément le plus important dans cette abolition de la Cour de sûreté c’est qu’on sort de l’exception pour être dans la normalité en décidant que les délits ou les crimes vont, quelle que soit la qualification, être jugés non pas par une juridiction d’exception mais par un tribunal de droit commun”. Ces espoirs sont restés vains car la réforme du 12 avril 2020 n’est pas allée au bout des espérances des avocats. Selon l’avis juridique de la chambre consultative de la Cour suprême, “la loi 20-020/Au du 12 décembre 2020 n’a ni expressément, ni implicitement abrogé la loi relative à la cour de sûreté de l’Etat” et qu’”en conséquence, cette juridiction d’exception continue d’exister en l’état”.
Cet avis de la chambre consultative intervient suite à une requête introduite par le ministre de la Justice, le 2 février 2021. Dans sa requête, le ministre a demandé à cette haute juridiction de donner son avis sur le sort de la cour de sûreté de l’Etat et des procédures pendantes devant elle. Par rapport à cette loi du 12 décembre 2020.
Avant de donner son avis, la haute juridiction a rappelé que “la justice pénale est régie par deux lois, à savoir la loi sur l’organisation judiciaire en Union des Comores et celle relative à la cour de sûreté de l’Etat”. Selon les explications de la chambre consultative, “la nouvelle loi sur l’organisation judiciaire n’a pas parlé des juridictions de droit commun et des juridictions spécialisées”.
La Cour de sûreté continue d’exister
La Cour ajoute : “Il résulte des dispositions que l’article 106 alinéa2 de cette loi nouvelle que la Cour d’assises connait toutes les infractions qualifiées de crimes commises dans leur ressort sauf exception prévue par la loi”. La haute juridiction indique encore que “cet article qui institue la cour d’assises ne comporte pas d’élément indiquant l’abrogation de la cour de sûreté de l’Etat”. Dans ses explications, la Cour suprême ajoute également que (…) “il résulte de ce qui précède que l’article 112 de cette même loi n’a pas englobé les juridictions d’exception puisque le transfert des dossiers ne vise que les procédures pendantes devant les juridictions de droit commun et des chambres spécialisées”.
La haute juridiction précise, dans son avis N° 005/2021/Cs, que “la loi N°20-020/Au du 12 décembre 2020 n’a ni expressément ni implicitement abrogé la loi relative à la Cour de sûreté de l’Etat” et que “cette juridiction d’exception continue d’exister en l’état”.La cour de sûreté de l’Etat a été créée le 20 mars 1983 à travers la loi N°81-005/PR. Bien qu’elle soit supprimée en France en 1981 à la suite d’un projet de loi porté par l’ancien ministre français de la Justice, Robert Badinter, cette juridiction dont la principale mission est de juger les auteurs des infractions contre la sûreté de l’Etat existe toujours dans certains pays d’Afrique comme le Mali et l’Algérie.