Dimanche dernier, un acte administratif a fuité sur les réseaux sociaux. L’arrêté conjoint, signé par le ministre des Finances, Mze Aboudou Chanfiou, et celui de l’Economie, Ahmed Ali Bazi, portait sur la nomination d’un directeur administratif et financier auprès de l’Onicor. Une nomination qui n’en est pas (encore) vraiment une, à ce stade. Le document ne comportait pas tous les visas nécessaires, notamment celui du secrétaire général du gouvernement (Sgg), Daniel Ali Bandar. Idem pour le directeur de cabinet du ministre de la Jeunesse nommé il y a plus de 2 mois. L’heureux élu attend encore la publication de sa nomination au Journal officiel. La situation est récurrente au sein de l’administration, suscitant différents points de vue : certains considèrent cela comme un blocage injustifié de la part d’une autorité qui dépasse ses prérogatives, tandis que d’autres soutiennent au contraire cette démarche.
«La conformité, le fondement, la forme et le fond»
Joint au téléphone mardi en fin d’après-midi, le ministre de l’Economie, Ahmed Ali Bazi, réfute le terme même de blocage. Il s’agirait pour lui de «délai de traitement long dû au manque de ressources humaines pour alléger la charge de travail». Selon lui, «le filtre du Sgg est nécessaire pour éviter les abus». Un autre membre de l’exécutif interroge les raisons de «cette lourdeur ». Le ministre de la Jeunesse, Salim Allaoui Djaffar, évoque le cas de son directeur de cabinet, nommé il y a plus de 2 mois. «C’est un poste souverain mais la nomination semble moisir au secrétariat général qui ne m’a fourni aucune explication», a-t-il regretté. «Plaisir de bloquer, de retarder, je ne sais pas», s’est-il quand même demandé.
Le principal intéressé, Daniel Ali Bandar, se défend d’avoir «bloqué un arrêté en bonne et due forme». «Avant l’enregistrement, je vérifie la conformité, le fondement, la forme et le fond. Si tout est correct, l’arrêté est enregistré, autrement je retourne l’acte au secrétaire général ou au ministre concerné avec la mention observée », s’est-il défendu. Pourtant, le ministre de la Jeunesse dit n’avoir eu aucun retour concernant son arrêté.
Un droit de véto
En outre, l’information relative à «ses blocages récurrents» qui seraient, et pour certains dus à des raisons politiques,est persistante. Une source du ministère de la Jeunesse en ce qui concerne la nomination du directeur de cabinet, se demande même si « le blocage » ne serait pas dû à la couleur politique du prédécesseur au poste. Celui-là émargerait en effet dans le parti présidentiel.«Il y a un cadre organique, je n’accepte pas que quelqu’un qui a suivi une formation en histoire soit nommé directeur administratif et financier ou agent comptable, etc.» a martelé le Sgg. Reste à savoir si la loi lui confère ce rôle. Al-watwan est allé au-devant de juristes de la place.
Le premier qui a requis l’anonymat lui reproche de s’être arrogé des compétences qui ne sont pas les siennes, «alors qu’il est là pour enregistrer l’acte et l’insérer dans le Journal officiel, aux fins de publication dudit acte». A l’en croire, et sur ce point, il rejoint Salim Allaoui Djaanfar : «l’auteur de la nomination est le ministre ou le directeur et tant que l’acte est conforme aux textes, le Sgg ne peut qu’y apposer son visa ».
Pour ses détracteurs, le Sgg ne peut pas utiliser un droit de véto qu’il s’est lui-même octroyé, sa mission étant «purement administrative». Il s’est attribué « un contrôle d’opportunité pour apprécier les actes posés alors qu’il n’en a pas les compétences » avance notre source.
Cette «tradition» remonterait à 2016, au retour d’Azali Assoumani au pouvoir. Très vite, un homme fait beaucoup parler de lui, au point que beaucoup le surnomment «le super ministre». Il s’agit d’Idaroussi Hamadi, prédécesseur de Daniel Ali Bandar, aujourd’hui officiellement à la Société comorienne des hydrocarbures. «Idaroussi s’était attribué un pouvoir politique consistant à apprécier le bienfondé ou non d’une nomination, ce qui irritait fortement des membres de l’exécutif. Il faut croire que cela a fait «jurisprudence», ironise notre vis-à-vis.
La disposition numéro 35 du décret de 2006
Al-watwan s’est procuré les copies des décrets portant sur «la réorganisation du secrétariat général du gouvernement de l’Union des Comores» de 2014 et « la réorganisation générale et missions des services de la présidence de l’Union des Comores » publié en 2006. L’article 3 du décret de 2014 dispose notamment que «le secrétariat général du gouvernement recueille les signatures prévues par les textes et assure l’enregistrement, la publication ou la notification des lois, ordonnances, décrets, arrêtés au Journal officiel dont il est tenu à jour un fichier chronologique ». Quant à la disposition numéro 35 du décret de 2006, il est dit que le secrétariat général du gouvernement assurait «le contrôle, l’enregistrement unique, la publication ou la notification, ainsi que l’archivage des textes et actes officiels».
Le débat est lancé
Me Maliza Said Soilihi explique que « le secrétaire général est un super greffier. C’est de sa responsabilité de vérifier que la loi est appliquée. Le contrôle d’opportunité ne lui appartient pas, son rôle s’arrête à un contrôle de légalité qu’il effectue avant la publication au Journal officiel». En d’autres termes, le Sgg doit s’assurer que les actes sont légaux. S’ils ne le sont pas, «c’est le tribunal administratif qui est compétent pour sanctionner», avance le juriste qui a requis l’anonymat.
Le débat est lancé et il pourrait s’avérer houleux. «Un document peut faire au maximum 3 jours au secrétariat. S’il dépasse ce délai, cela veut dire qu’il y a un problème. Il y a des actes qui sont directement classés comme ceux violant la loi. Aucune suite n’est demandée», a fait valoir le secrétaire général du gouvernement.