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DĂ©logement des Comoriens des autres Ăźles Ă  Mayotte, un an aprĂšs : Le risque d’un retour aux violences est bien rĂ©el

DĂ©logement des Comoriens des autres Ăźles Ă  Mayotte, un an aprĂšs : Le risque d’un retour aux violences est bien rĂ©el

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Chiroungui, Tsimkoura, Bweni, Mramadoudou, etc,
Dans toutes ces localitĂ©s situĂ©es au sud de Mayotte, les Comoriens du reste de l’archipel ont connu, en mars et avril 2016, des moments particuliĂšrement difficiles : dĂ©logements, agressions physiques, pillages
etc. Un an aprĂšs, nombreux sont ceux qui craignent encore le risque de rĂ©surgence de ces violences.

 

Tsimkura, Ă  une quarantaine de kilomĂštres de Mamoudzou. C’est dans cette bourgade, situĂ©e au sud de Mayotte, qu’avait dĂ©butĂ© en mars 2016 l’opĂ©ration «dĂ©casage», cette vaste chasse Ă  l’homme menĂ©e tambour battant par des groupes surexcitĂ©s contre les Comoriens des autres Ăźles.

Un an aprĂšs, malgrĂ© un semblant de retour Ă  la normale, les nombreuses familles dĂ©logĂ©es au plus fort de la crise refusent toujours d’y revenir. TraumatisĂ©es, elles se sont rĂ©installĂ©es ailleurs, de peur d’ĂȘtre de nouveau prises pour cibles.

Cette peur de voir ressurgir les dĂ©mons d’un passĂ© rĂ©cent est-elle vraiment justifiĂ©e ? «Je ne crois pas que l’on puisse revivre un jour la mĂȘme situation. La prĂ©fecture de Mayotte a clairement signifiĂ© aux meneurs de ces mouvements qu’il ne leur appartenait de jouer le rĂŽle de la police et qu’en cas de rĂ©cidive, ils pourraient ĂȘtre poursuivis en justice», dĂ©clare Mohamed Mouigni, qui compte une quinzaine d’annĂ©es de prĂ©sence Ă  Mayotte.

 

Risque de «guerre civile»

D’autres sont moins confiants et prient chaque jour le Ciel pour que perdure encore cette relative accalmie. Pour MzĂ© Hamadi Moussa, un natif de Ngazidja rĂ©sidant Ă  Mramadoudou, non loin de Tsimkura, «les Mahorais nous accusent d’inonder leurs Ă©coles et leurs hĂŽpitaux. Ils parlent tout le temps de saturation. Les mĂȘmes causes produisant les mĂȘmes effets, il ne faut pas exclure l’éventualitĂ© de voir les mĂȘmes fauteurs de troubles revenir Ă  la charge.»

Un avis que partage Mohamed Nabahane, Ă©crivain comorien basĂ© Ă  Mayotte et l’un des responsables du Collectif de soutien aux dĂ©logĂ©s. Plus alarmiste, il parle d’un risque de «guerre civile» (sic) et accuse certaines autoritĂ©s politiques mahoraises, dont Mansour Kamardine, «de tirer les ficelles et d’attiser le feu pour des intĂ©rĂȘts purement politiques.»

Et de poursuivre : «La situation me rappelle Ă  certains Ă©gards les Ă©vĂ©nements de Majunga en 1976. Sauf que cette fois, si cela venait Ă  arriver, les Comoriens issus du reste de l’archipel ne se laisseraient pas faire. La confrontation pourrait donc ĂȘtre frontale.»

 

 

 

PrivĂ©s d’adresse

Il faut dire que la naissance, il y a quatre mois, du Codim (ComitĂ© de dĂ©fense des intĂ©rĂȘts de Mayotte), composĂ© de plusieurs groupuscules extrĂ©mistes qui se sont tristement illustrĂ©s en avril 2016, a de quoi donner des frissons.

Certaines associations locales de dĂ©fense des droits de l’homme sont d’autant plus inquiĂštes que cette petite organisation ouvertement «sĂ©grĂ©gationniste» semble bĂ©nĂ©ficier d’une certaine complicitĂ©, en tout cas d’une «indulgence coupable», dans les hautes sphĂšres du pouvoir. «Le gens qui manifestent contre ce qu’ils appellent abusivement les ‘clandestins’ sont loin d’ĂȘtre reprĂ©sentatifs de la population mahoraise.

Ce sont des déçus de la dĂ©partementalisation ; ils cherchent tout simplement des boucs Ă©missaires. Malheureusement, ici, les autoritĂ©s locales leur donnent plus d’importance qu’ils n’en ont rĂ©ellement», analyse Mohamed Nabahane.

En fĂ©vrier dernier, sous la pression de ce ComitĂ©, la mairie de Poroani, toujours au sud de Mayotte, a menacĂ© de trainer en justice toute personne hĂ©bergeant des Comoriens supposĂ©s ĂȘtre en situation irrĂ©guliĂšre.

MĂȘme si certains font fi de cette lettre de «mise en demeure» de la commune, il n’en reste pas moins qu’il est difficile aujourd’hui de louer une maison au sud de l’üle hippocampe quand on est Anjouanais, MohĂ©lien ou Grand-Comorien, quel que soit votre statut administratif. Beaucoup, jusque-lĂ  «en situation rĂ©guliĂšre» au regard de l’administration française, n’ont pas pu Ă  ce jour «renouveler leur carte de sĂ©jour», faute d’adresse. 

 

Réalité sociologique indéniable

L’histoire de cette femme titulaire d’un sĂ©jour de dix ans qui s’est vue rĂ©cemment renvoyer de son appartement est symptomatique de ce climat gĂ©nĂ©ral de suspicion. Cette affaire dĂ©fraie la chronique judiciaire Ă  Mayotte depuis que le Codim s’en est mĂȘlĂ©e, refusant que la propriĂ©taire de la maison soit condamnĂ©e pour «rupture abusive d’un contrat de bail.» Il a, Ă  cet effet, organisĂ© des manifestations de soutien dans plusieurs localitĂ©s et menacĂ© de «reprendre les hostilitĂ©s.»

Mais, d’oĂč vient cette haine subite contre les ressortissants des autres Ăźles de l’archipel ? Chacun y va de sa petite explication. «Mayotte croyait qu’avec le statut de dĂ©partement, elle allait devenir un territoire de cocagne. Aujourd’hui, c’est la dĂ©sillusion.

Vous savez, quand on a des problĂšmes, vous avez toujours tendance Ă  accuser les autres», estime Mohamed Nabahane. Pour lui, personne ne peut dĂ©finir ce qu’est un Mahorais. «RĂ©cemment, Mme Neil (une femme d’affaires sud-africaine, installĂ©e depuis deux dĂ©cennies Ă  Mayotte, Ndlr) a mis les Mahorais au dĂ©fi, avec un vĂ©hicule Ă  la clĂ©, de produire les papiers de leurs quatre arriĂšres grands-parents. Elle n’a trouvĂ© personne.

En rĂ©alitĂ©, il y a un tel brassage, une telle mixitĂ©, que chacun a un parent dans les autres Ăźles.» C’est cette rĂ©alitĂ© sociologique indĂ©niable que cherche Ă  gommer le Codim, dont les leaders seraient eux-mĂȘmes d’origine anjouanaise.

Quand ils Ă©voquent les Ă©vĂ©nements d’avril 2016, de nombreuses victimes ont du mal Ă  retenir leurs larmes. Certains souvenirs sont choquants, Ă  la limite de l’inhumain. Comme ce vieux grabataire Ă  qui on aurait retirĂ© sa sonde urinaire avant de le rouer de coups.

L’ambulance venue Ă  sa rescousse a ensuite Ă©tĂ© empĂȘchĂ©e de l’embarquer.
Des maisons rĂ©duites en cendres ; des biens mobiliers et autres Ă©quipements Ă©lectromĂ©nagers dĂ©truits, etc. Des scĂšnes de dĂ©solation que l’on voyait ailleurs et dont on n’aurait jamais imaginĂ© qu’elles se dĂ©rouleraient un jour sous nos yeux.

 


Le silence de Moroni

Au paroxysme de la crise, en mars et avril 2016, le Collectif de dĂ©fense des dĂ©logĂ©s espĂ©rait une rĂ©action vive des autoritĂ©s comoriennes. En vain. Alors que les gens dormaient Ă  la belle Ă©toile et Ă  mĂȘme le sol Place de la RĂ©publique, au centre de Mamoudzou, aucun responsable de Moroni n’avait fait le dĂ©placement, ne serait-ce que pour leur rendre visite et s’enquĂ©rir de leurs conditions de vie.

Comme si le sort de ces centaines de compatriotes, dont de nombreux enfants en bas Ăąge, leur Ă©tait indiffĂ©rent. Comme si ces personnes Ă©taient coupables de s’ĂȘtre Ă©tablis Ă  Mayotte.
ArrivĂ©e Ă  Moroni pour solliciter l’appui et une plus grande implication du gouvernement comorien, la dĂ©lĂ©gation du Facof (FĂ©dĂ©ration des associations comoriennes de France), l’une des organisations les plus actives lors de cette «chasse aux Comoriens» des autres Ăźles, n’avait pu rencontrer le ministre des Affaires Ă©trangĂšres. «Nous avons juste eu droit Ă  de vagues promesses sans lendemains», regrette aujourd’hui Mohamed Mouigni.

Une autre mission, cette fois du Collectif de soutien aux dĂ©logĂ©s de Mayotte, avait rĂ©ussi, lors d’un bref sĂ©jour Ă  Moroni, Ă  alerter l’opinion publique nationale sur la situation «inhumaine» que les Comoriens des trois autres Ăźles Ă©taient en train de vivre.

Certaines reprĂ©sentations diplomatiques en poste aux Comores, dont celles de l’Arabie Saoudite et de la RĂ©publique populaire de Chine, avaient alors promis de l’aider Ă  assurer aux «dĂ©logĂ©s» parquĂ©s Ă  Mamoudzou le minimum vital. Matelas, nourriture, argent, etc., les aides affluaient de toutes parts. «Des Mahorais venaient rĂ©guliĂšrement nous remettre de la nourriture ou des enveloppes, mais ils tenaient Ă  rester dans l’anonymat pour ne pas se crĂ©er des problĂšmes», se souvient Mohamed Nabahane.


 

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