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Jâutilise rarement le point dâexclamation mais le retour de Ahmed Mohamed Djaza Ă la tĂȘte de la trĂšs (trop ?) controversĂ©e Commission Ă©lectorale nationale indĂ©pendante (Ceni) vaut tous les points dâexclamation.
Les Comoriens sont rĂ©putĂ©s ĂȘtre amnĂ©siques mais pas tous. En tout cas, moi je mâen souviens. Je me rappelle de tout, des pĂ©ripĂ©ties Ă©lectorales, des nuits passĂ©es sans dormir. Je me rappelle de la tension presquâĂ©lectrique qui planait durant ces longs mois de la pĂ©riode Ă©lectorale. Je me rappelle de tout. Je me rappelle surtout de cette nuit, juste aprĂšs la tenue des Ă©lections partielles dans 13 localitĂ©s Ă Ndzuani.
Je me rappelle de cet appel au milieu de la nuit, de cette voix mâintimant de me rendre dans cet hĂŽtel de Mutsamudu oĂč devait avoir lieu la proclamation des rĂ©sultats. Je me rappelle des pneus en feu dĂ©posĂ©s sur la chaussĂ©e, des militaires en tenue et des badauds assis Ă mĂȘme le goudron. De la tension qui Ă©tait âvraimentâ Ă©lectrique.
Je me rappelle ma peur en pĂ©nĂ©trant la courette de lâhĂŽtel de la capitale anjouanaise. Des hommes en treillis en son sein. De ce monsieur, qui aujourdâhui est directeur gĂ©nĂ©ral dâune grande sociĂ©tĂ© dâEtat. Il Ă©tait confiant, il mâa dit :
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les rĂ©sultats seront proclamĂ©s dans quelques minutes, le prĂ©sident de la Ceni est dâaccord, il lâa dit Ă la communautĂ© internationale.
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Je prends mon mal en patience, le monsieur sĂ»r de lui, sâĂ©loigne, une chemise sous le bras. Je tourne en rond, monte Ă lâĂ©tage et je tombe sur la vice-prĂ©sidente Nadjahe Allaoui et quelques autres membres de la Commission lâair affairĂ©s, dans une salle de lâhĂŽtel en question. Et moi, jâĂ©tais rassĂ©rĂ©nĂ©e. Jâattendais. Les images des pneus enflammĂ©s commençaient Ă sâĂ©loigner.
Puis prise par une intuition soudaine, jâentreprends de descendre dans la petite courette qui Ă©tait quasiment prise dâassaut par les hommes en treillis. Je me rappelle avoir vu un bus, et peut-ĂȘtre un pick-up. Ce petit monde sâagite et mon instinct me dit quâil y a quelque chose qui se trame. Jâai encore en mĂ©moire le visage des deux officiers qui semblaient ĂȘtre Ă la tĂȘte des opĂ©rations. Jâai mĂȘme leur nom. Je remarque un soldat, presque tapi dans lâombre. Je lui adresse un sourire, lui dis que je suis journaliste.
Il me sourit en retour et je lui demande ce qui se passe. Il me rĂ©pond «tout de go» que le prĂ©sident de la Ceni sâapprĂȘte Ă partir, lui et dâautres membres de la Commission. «Ils vont prendre lâavion pour Ngazidja». Quoi cette nuit, je fais, et les rĂ©sultats ? Lâhomme me rĂ©pond «quâun avion Ă©tait dĂ©jĂ prĂȘt Ă dĂ©coller»
Effectivement, je vois Djaza sortir dâune salle situĂ©e juste Ă cĂŽtĂ© de la cour, avec dâautres personnes Ă sa suite. Ils montent dans le bus. Il Ă©tait blanc le bus ou alors je ne me souviens plus. Ils y montent et attendent. Jâessaie dâappeler le monsieur qui mâavait certifiĂ© que les rĂ©sultats allaient ĂȘtre proclamĂ©s, en vain, il nâavait pas de rĂ©seau. Jâattends quelques minutes, le bus ne part toujours pas. Il se passe un court moment avant de voir dĂ©bouler Said Mze Dafine, qui devait ĂȘtre celui quâon attendait.Â
Le bus sâen va. Je reste encore quelques minutes et je vois une Nadjahe Allaoui (vice-prĂ©sidente de lâĂ©poque qui vient dâĂȘtre rĂ©elue) au bord de lâhystĂ©rie. Les cheveux en pĂ©tard, la voix haut perchĂ©e, elle nâen revient pas que Djaza soit parti sans lâen avertir. Je me rappelle quâĂ un moment, elle rĂ©pĂ©tait, presque comme une litanie, en français : «je vais tout dire, je vais tout dire».On attend encore quâelle dise âtoutâ.
Ce jour-lĂ , notre pays est revenu de trĂšs loin. Il Ă©tait sur le point de basculer. CâĂ©tait dans la nuit du 11 au 12 mai. Alors que le prĂ©sident de la Ceni avait rĂ©ussi Ă convaincre tout le monde de lâimminence de la proclamation des rĂ©sultatsdes partielles, il a eu le culot, ou la lĂąchetĂ© (câest selon) de prendre la poudre dâescampette en abandonnant sur place sa plus proche collaboratrice,â qui selon ses dires, nâĂ©tait au courant de rien, laquelle allait finalement les proclamer au petit matin.
Moi, je nâai pas oubliĂ©. Je me rappelle de tout. Et je suis sĂ»re que si Dieu me prĂȘte vie, dans 50 ans, je me souviendrai que le 11 septembre 2017, Ahmed Mohamed Djaza sâest prĂ©sentĂ© Ă sa propre succession sans concurrent en face, sans rival. Quâun boulevard lui a Ă©tĂ© ouvert. Lâhomme qui symbolisait presquâĂ lui seul, le discrĂ©dit de la Ceni sâest fait rĂ©Ă©lire. Sans tambours ni trompettes. Mais il sâest fait rĂ©Ă©lire quand mĂȘme.