En parlant des Ă©vĂšnements actuels sur lâĂźle comorienne de Mayotte occupĂ©e par la France, il nâest pas utile de vous surcharger de considĂ©rations gĂ©ographiques, culturelles et historiques de longue date. Exactement comme vous, vous ne remonteriez pas au Vin de Gaule, aux Francs, etc., il y a des siĂšcles, si vous vouliez mâexpliquer la genĂšse de lâoccupation de la France par lâAllemagne, en 1943. Je vais, donc, juste vous parler de droit et dâĂ©vidence. PrĂ©cisĂ©ment, de âcolonisation inachevĂ©eâ, tout simplement parce que câest de cela quâil sâagit.
Vous le savez, votre pays a Ă©tĂ©, et est encore, un pays colonial. Elle avait, notamment, colonisĂ© mon pays, les Comores, en tant quâarchipel composĂ© de Mayotte, dâAnjouan, de MohĂ©li et de Grande-Comore, durant plus dâun siĂšcle. Quand les Comores ont voulu accĂ©der Ă lâindĂ©pendance, lâEtat colonial français dĂ©cide quâil allait organiser un rĂ©fĂ©rendum pour savoir si, nous Comoriens, voulions que notre pays nous revienne ou sâil continue Ă lui appartenir. Des accords ont Ă©tĂ© signĂ©s dans ce sens, et un rĂ©fĂ©rendum a eu lieu Ă lâissue duquel 95% des habitants ont votĂ© âouiâ Ă lâindĂ©pendance.
âCaprice colonialâ
Au moment dâappliquer les rĂ©sultats du scrutin, votre pays a dit, dâautoritĂ© : âje ne vous lâavais pas dit, certes ce nâest pas dans les accords signĂ©s ensemble, mais on va juger les rĂ©sultats Ăźle par Ăźleâ. Elle a enchaĂźnĂ© : âAh, sur une partie de votre territoire, Mayotte, les habitants ont votĂ© Ă 65% pour le ânonâ. Donc je vais la garder pour moiâ. Pour bien comprendre, câest comme si lors du rĂ©fĂ©rendum, chez vous, pour lâavĂšnement de la VĂšme RĂ©publique, le juge constitutionnel français avait conclu :
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comme 17,40 % de la population ont votĂ© ânonâ, alors la constitution de la VĂšme RĂ©publique ne va pas leur ĂȘtre appliquĂ©e.
Je vous Ă©pargne le rĂ©cit des mĂ©thodes Ă la limite de la barbarie auxquelles ont eu recours vos services secrets pour âparvenirâ Ă ce âvote nĂ©gatifâ Ă Mayotte. Vous lâimaginez, sans douteâŠ
Sentant venir ce coup, lâOrganisation des Nations unies avait, avant le scrutin, mis en garde la France en lui demandant de faire en sorte que âlâunitĂ© et lâintĂ©gritĂ© territoriale de lâarchipel des Comores soient respectĂ©esâ, comme le veulent les rĂšgles et les usages. Ce que votre pays a ignorĂ© royalement.   Â
Cependant sur la base dâune rĂ©solution parrainĂ©e par lâUnion africaine, les Comores ont Ă©tĂ© admises Ă lâOnu, sur la base du droit, en 1975, en tant que pays composĂ© des quatre Ăźles que sont Mayotte, Anjouan, MohĂ©li et Grande-Comore.
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Ce jour-lĂ , la France nâa pas votĂ© contre cette rĂ©solution du Conseil de sĂ©curitĂ© de lâOnu au sein duquel, pourtant, elle dispose dâun droit de vĂ©to. Et câĂ©tait logique. Croyez-vous vraiment que la France se serait abstenue si elle avait cru, une seconde, que cette partie du territoire de mon pays Ă©tait sienne?
Du jamais vu !
Mais, malgrĂ© cette reconnaissance, la France, quatriĂšme puissance mondiale, sây est installĂ©e dâautoritĂ© et cela dure depuis quarante deux ans. Elle y fait prĂ©valoir un tas de ârĂ©fĂ©rendumsâ (quâelle conçoit, mĂšne et juge toute seule, Ă©videmment) âĂ son avantageâ. A ce jour, elle est la seule et unique puissance coloniale Ă avoir agi de la sorte. Câest du jamais vu.
DĂšs 1976, prises au dĂ©pourvu, les Comores plaident leur cause Ă lâOnu qui adopte â avec prĂšs de 130 voies pour, 27 abstentions et une seule voie contre (celle de la France) â une rĂ©solution qui condamne tous ces rĂ©fĂ©rendums âorganisĂ©s dans lâĂźle comorienne de Mayotte et les considĂšre comme ânuls et non avenusâ, rejette toute autre forme de consultationÂ
qui pourrait ĂȘtre organisĂ©e ultĂ©rieurement en territoire comorien de Mayotte, condamne toute lĂ©gislation Ă©trangĂšre tendant Ă lĂ©galiser une quelconque prĂ©sence coloniale française en territoire comorien, condamne Ă©nergiquement la prĂ©sence française Ă Mayotte qui constitue⊠une violation de lâUnitĂ© nationale, de lâintĂ©gritĂ© territoriale et la souverainetĂ© de la RĂ©publique indĂ©pendante des Comores.
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LâannĂ©e suivante une autre rĂ©solution dans les mĂȘmes termes est adoptĂ©e avec seulement vingt abstentions et⊠pas une seule voix contre.Â
Votre pays, décide, encore une fois, de faire fi du droit, des souhaits et des priÚres de la communauté internationale en continuant son occupation.
Un peu trop facile, non?
Dans sa fuite en avant, il impose, dâautoritĂ©, en 1995, un visa dâentrĂ©e aux autres Comoriens sur le territoire comorien quâelle occupe. Câest le tristement cĂ©lĂšbre âvisa Balladurâ. En 2009, il enchaĂźne par un ârĂ©fĂ©rendumâ Ă lâissue duquel il dĂ©clare que, dĂ©sormais, le territoire quâelle occupe Ă©tait, tout simplement, devenu un âDĂ©partement françaisâ, le â101Ăšâ, prĂ©cise-t-il. Pour se convaincre, il a fait prĂ©valoir des dispositions de sa⊠propre constitution, sâil vous plaĂźt ! Un peu comme si les lois françaises Ă©taient devenues subitement universelles, de grĂ© ou de force. Cela aussi, câest du jamais vu.
Ne croyez-vous pas, en effet, que ce serait un peu trop facile si un pays, parce que plus puissant quâun autre, pouvait organiser des Ă©lections sur le territoire de cet autre, dĂ©clarer quâil les a gagnĂ©es, que dĂ©sormais ce territoire lui appartenait et quâil nây avait quâĂ passer Ă autre chose ?
Dans sa lancĂ©e, elle sâest ingĂ©niĂ©e Ă fomenter des putschs, fait assassiner ou dĂ©porter pas moins de quatre prĂ©sidents comoriens et a entretenu un long mouvement sĂ©paratiste qui a profondĂ©ment terni lâimage du pays, dâune part. Dâautre part, elle a rĂ©visĂ© les manuels dâhistoire destinĂ©s aux enfants et injecte des millions dâeuros sur cette partie de notre territoire. Elle est parvenue, ainsi, formidablement bien, Ă nourrir le dĂ©goĂ»t et la haine des habitants de la partie occupĂ©e pour leurs concitoyens de lâautre partie.
âDĂ©placement forcĂ© de populationsâ
Aujourdâhui encore, ses forces installĂ©es illĂ©galement dans cette Ăźle, empĂȘchent, par la force, les Comoriens des autres parties de notre territoire (Anjouan, MohĂ©li et Grande-Comore) de sây rendre. Ceux qui y parviennent, malgrĂ© tout, sont traitĂ©s de âclandestinsâ, raflĂ©s et renvoyĂ©s de force sur ces autres parties.
Dans cette odyssĂ©e, depuis 1995, prĂšs de 15.000 de mes compatriotes sont morts noyĂ©s pour le seul tort, donc, dâavoir voulu se dĂ©placer dâun point Ă un autre de leur pays. Dans lâabsolu, câest, exactement, comme si, en vingt trois ans, 15.000 Français Ă©taient morts tout juste en voulant passer du nord au sud de la France.
Rien que pour cela, si elle ne disposait pas du droit de vĂ©to Ă lâOnu, la France serait condamnĂ©e par le Tribunal pĂ©nal international pour dĂ©placement forcĂ© de populations Ă lâintĂ©rieur de son territoire (Article 7 du Code pĂ©nal international). Autrement dit, votre pays serait poursuivi pour âcrime contre lâhumanitĂ©.
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Si elle sâentĂȘtait, le Conseil de sĂ©curitĂ© aurait adoptĂ© une rĂ©solution âcontraignanteâ pour lâobliger Ă obtempĂ©rer. Exactement comme cela sâest passĂ© en petite Libye de Kadhafi. Heureusement pour elle et pour vous que la France est un grand pays !
Conscientes de leur faiblesse de petit pays devant lâĂ©norme France, les Comores ont fait de multiples concessions pour espĂ©rer parvenir Ă une solution. Rien nây fera tout simplement parce que la France exige de nous que nous abandonnions, purement et simplement, notre souverainetĂ© sur notre territoire. Â
ArrĂȘter un drame françaisÂ
Le 18 mars dernier, un journaliste français Ă©crivait au Figaro : âMayotte câest un accident de lâhistoire de la France provoquĂ© par la nĂ©gligence et lâindiffĂ©renceâ. Non, je regrette. Mayotte câest une catastrophe et un drame de lâhistoire provoquĂ© par lâarrogance de grande puissance. Tout ce qui arrive sur ce territoire, câest la faute de la France.
Sâil nây avait pas cette occupation, rien de ces violations du droit, de ces archaĂŻsmes idĂ©ologiques, de ces anachronismes historiques, de ces arrogances diplomatiques, de ces dizaines de milliers de morts noyĂ©s, de cette haine fratricide et de ces barbaries ne serait arrivĂ©.
Câest donc Ă elle, en prioritĂ©, dây mettre fin. En laissant sâachever le processus de dĂ©colonisation des Comores et, par la mĂȘme occasion, en arrĂȘtant de souffler sur les braises de lâidĂ©ologie la plus dĂ©valorisante et raciste de lâhistoire aprĂšs lâesclavagisme : le colonialisme. Celle qui a fait de lâAfrique francophone ce quâelle est. Qui est Ă lâorigine de la division de mon pays, de milliers de morts, de violences et de haines rares entre les enfants dâun seul peuple qui a vĂ©cu des siĂšcles dans lâharmonie.