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Reprise des cours : sauver l’année ou sauver l’école ?

Reprise des cours : sauver l’année ou sauver l’école ?

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Dans un récent article sur inégalités scolaires et le confinement, j’ai évoqué avec insistance la question de l’adéquation entre le dispositif de télé-enseignement et le niveau social dont sont issus les élèves. Si l’enseignement à distance mis en place à travers les ondes de la télévision nationale semblent assurer une continuité pédagogique auprès des élèves, l’absence du contact entre l’enseignant et le groupe-classe peut être une source de décrochage : certains élèves seraient en situation de démotivation et perdraient le goût de travailler. Ce qui favorise ce phénomène c’est d’abord la solitude face à un écran et l’absence de rapport affectif avec le professeur. Ensuite, l’environnement scolaire, espace fondamental aux apprentissages, ne peut être substitué par l’espace domestique.

 

Dans plusieurs pays, l’école a repris sur un rythme progressif afin de réadapter les élèves et les enseignants à la vie scolaire. Aux Comores, la rentrée scolaire annoncée au 1er juillet est une solution de lutte contre l’oisiveté et le décrochage scolaire mais aussi et surtout un moyen de valider une année scolaire secouée par une grève des enseignants ponctuée, à la fois par des arrêts de cours et un gel de remplissage des bulletins trimestriels. On s’attend alors à une reprise des cours dont la mission est de valider l’année scolaire et académique par l’organisation des examens de fin d’année. Avec de tels efforts la mission de sauver plutôt notre école se substitue par celle de sauver l’année.
Au-delà des mesures urgentes pour éviter la propagation de la pandémie du Covid-19, plusieurs questions se posent quant à la réouverture des établissements scolaires : quel positionnement doit adopter le corps enseignant face à une situation scolaire extraordinaire ? Comment réorganiser les enseignements de manière à raccrocher les élèves ? Quelles perspectives pédagogiques et sociales se dégagent à travers l’expérience post-pandémique ? Les pistes de réponse qu’on aura à proposer à ces interrogations poseront les jalons d’une réforme véritable de notre école.

Les enseignants : agir professionnellement

Dans un article paru en 2012 dans le journal Albalad, j’ai montré que la posture revendicative adoptée par le syndicat enseignant est exclusivement salariale. Cette situation de longue date se prolonge jusqu’à aujourd’hui. Il est vrai qu’un versement irrégulier du salaire est un facteur de démotivation au travail.
Mais, le salaire est-il la seule préoccupation qui déclenche les grèves répétitives des enseignants ? Nos vaillants enseignants ne sont pas conscients de l’état de nos écoles ? N’est-il pas ridicule chez nos braves professeurs de dispenser le même cours pendant plus de vingt ans ? Sont-ils fiers de réclamer un salaire alors qu’ils peinent à achever les programmes officiels ? Comment peut-on évoluer dans ce noble métier quand on n’a jamais vu ni inspecteur ni conseiller pédagogiques ?
Le temps est venu pour que les enseignants prennent conscience de la mission humaine, sociale et professionnelle qui lui est assignée. Il est de leur devoir de proposer une stratégie de refonte des programmes d’enseignement, de réclamer des conditions de travail dignes : des écoles équipées, aux normes juridiques, une généralisation de l’encadrement et de l’inspection pédagogique, des contenus d’enseignement révisés et adaptés, des examens nationaux valorisés. La mission étant de former des générations citoyennes, nos enseignants doivent redorer le blason d’une profession noble, sensible à tous les caprices.

Un enseignement adapté pour un temps « trop limité»

Notre enseignement a toujours privilégié la méthode magistrale, dite frontale, dans la transmission du savoir. Peu d’enseignants outillés et ayant un esprit d’innovation ont eu recours à des méthodes actives et créatives qui font preuve de peu d’efficacité. Dans un contexte extrêmement particulier au fonctionnement de l’école comorienne, le corps enseignant a la noble mission d’adapter, d’innover et de capitaliser les savoirs transmis afin de redonner la motivation au travail des élèves, de rattraper le grand vide causé par la fermeture des classes mais surtout de les préparer à affronter les épreuves finales de fin d’année. Pour cela, si l’enseignement à distance était conçu comme une continuité pédagogique urgente, l’école en présentiel en présentiel impose d’autres méthodes.


Il n’est pas question d’étaler un projet pédagogique, cela étant du ressort de l’inspection générale de l’éducation (IGEN). Toutefois, le renforcement de l’apprentissage méthodologique est nécessaire. Les candidats au baccalauréat, par exemple, ont besoin de pistes efficaces pour rédiger une dissertation, commenter un document ou étudier une fonction logarithme. Il serait aussi pratique de croiser à la fois des disciplines et des enseignants différents afin de faire bénéficier et capitaliser plus de compétences aux élèves : on appelle cela les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI), un dispositif qui permet d’accrocher davantage les apprenants au cours. Par ailleurs, étudier des situations concrètes favoriserait de déstresser nos candidats : discussion sur des copies d’examen, rédaction collective de paragraphes…

S’engager pour une prochaine rentrée scolaire

Nos vaillants enseignants doivent, enfin, comprendre que l’école est un droit pour tous. Il est de leur devoir de la préserver et d’assurer sa fonction de reproduction sociale. Je me permets de rappeler à mes collègues qu’il faut d’abord accomplir le travail avant de réclamer la rémunération. Le sens de professionnalisme, l’esprit humain est responsable doivent être la vitrine de notre profession.
Dénoncer les conditions dégradantes de nos écoles, exiger un enseignement public et privé aux normes pédagogiques et politiques, sauver les établissements en voie de fermeture, refuser le sous- emploi dans certains établissements, renforcer le syndicat enseignant par un véritable dialogue social avec la communauté scolaire, impliquer les parents et collectivités territoriales…voilà quelques pistes pour redonner goût à la profession enseignante. En un mot, notre mission la plus fondamentale est de sauver l’école et non de valider l’année scolaire. Collègues enseignants, revoyons nos copies. Une double correction s’impose.


Issa Abdoussalami
Docteur en sociologie

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