La danse, comme le chant, accompagne le Comorien «de la naissance à la mort» comme n’a de cesse de le marteler l’historien, Moussa Saïd Ahmed. Toutefois, force est de constater que les troupes de danses traditionnelles se font rares. Certains mettent les clés sous la porte et partent sans laisser de traces. De toute évidence, c’est loin d’être le cas du Wenyi ngazi (qui peut être traduit par «Les gardiens du temple») créée à Moroni en 1985.
9h 30 minutes ce dimanche 18 juin 2023. Les jeunes danseurs de l’Association des jeunes pour le développement de la culture (Wenyi Ngazi) commencent à investir le foyer Wakawaka de Irungudjani en centre-ville de la capitale, Moroni. Certains n’apprécient pas du tout le retard de leurs camarades : «Tu n’es pas sérieuse, on a dit à 9h et jusqu’à maintenant tu n’es pas là !», sermonne une danseuse au téléphone.
Nayd Kazmir, 12 ans et meneur
Une demi-heure plus tard, une quinzaine de danseuses et danseurs étaient là, ainsi que trois batteurs, un formateur et un ancien responsable de la troupe. Avant de monter sur scène, ce beau monde de la danse échange sur quelques pas de danse.Du haut de ses 12 ans, Nayd Kazmir est le meneur, rien moins. Il harangue ses troupes pour un goma la shidzuani. Et c’est parti! Les goma, tari, ou encore le tuwazi (= noms d’instruments traditionnels), rythment la cadence des pas des danseurs qui, à leur tour, résonnent dans le foyer aux dimensions plutôt imposantes. Ils ne portent pas les tenus de circonstance, mais la concentration est intense, la synchronisation parfaite. Dans cette danse, le formateur n’a pas eu grand-chose à dire, les jeunes sont bien bien dans leur élément.
Pendant que les dix danseurs – pieds nus, rubans autour de la tête et le sourire aux lèvres – passent du goma la shiNdzuani au shigoma sha laansuri, les autres observent et encouragent leurs camarades, en attendant leur tour d’investir la scène.Les quatre batteurs font monter la température pendant que le percussionniste, Mohamed Ahamada alias Godré, a l’oeuil attentif, à la fois sur les danseurs et sur les musiciens. Malgré quelques rares petits ratés, tout le monde suit «les yeux fermés». A peine sont-ils descends de la scène que sept danseuses prennent le relai et enchainent avec un dandaru, cette danse venue de l’île de Djumbe Fatima qu’on ne voit que très exceptionnellement dans les fêtes et, encore moins, aux concours de danse traditionnelle.
«Mwanamshe yalamhe!»
Ce dandaru n’est pas qu’une «simple» danse mais une création accompagnée de chants aux appels passionnés, notamment, à l’émancipation de la femme : «Haraka leo haraka, haraka leo haraka, mwanamshe yalamhe». Ici c’est toute l’assistance qui chante pour une salle qui résonne encore plus.
«La danse ne m’empêche pas d’aller à l’école. D’ailleurs cela m’aide beaucoup. C’est à la fois du sport, un loisir que j’affectionne beaucoup. Ce n’est pas tous les jours qu’on va au foyer mais les Week-end. Nos danses envoient beaucoup de messages notamment les droit de la femme. Une femme n’est pas faite pour rester au foyer et faire le ménage mais doit être à la tête des plus grandes décisions de l’Etat», assène la danseuse, Bahati Mohamed Papa.Après deux prestations, les très jeunes danseurs sont autorisés à partir pour l’école coranique. Il faut dire que les danseurs de Weny ngazi, sont répartis entre le primaire, le collège, le lycée et quelques étudiants de l’Université des Comores.
Connaitre sa Culture, pour mieux se connaitre
«Contrairement à ce que certains peuvent penser, nous ne constituons pas une école bis. Nous sommes un centre culturel, un centre de loisir. Pour nous, la culture et l’école sont complémentaires. A Wenyi ngazi, les enfants révisent leurs leçons dans un cadre sécurisé. Les jeunes qui sont là aujourd’hui sont, souvent, les enfants de ceux qui ont porté le projet en 1985. Les parents doivent comprendre que ce n’est pas un jeu. Il faut qu’ils s’impliquent humainement et financièrement», explique un ancien membre d la troupe, Abdoulanzize Ahmed Koudra.
Si le Wenyi Ngazi ne dégage plus la même ferveur qu’aux années 1980 où chaque agglomération et même chaque quartier avait sa troupe. Mais, elle est encore présente sur la scène culturelle comorienne un moment où le patrimoine immatériel comorien ne se porte pas aussi bien que ça.«La recette pour la longévité du Wenyi ngazi, c’est l’amour et une confiance totale à la Culture comorienne. Nous aimons cette culture et nous la faisons vivre depuis 1985. On ne peut pas promouvoir la culture étrangère sans promouvoir la sienne car il faut connaitre sa culture pour mieux se connaitre», laissent entendre ses dirigeants.