Dans ce pays de littérature orale, l’écrit a encore du mal à se faire une place et la mémoire de tout un pays est confronté à un sérieux risque d’oubli. Dans ce coin des «oubliés», on trouve les tirailleurs comoriens rattachés aux tirailleurs somalis pendant la Première guerre mondiale. Le livre «Les tirailleurs comoriens de la première guerre mondiale» veut aller à contre-courant.
Sous la coordination du professeur d’histoire et géographie de l’école française Henri Matisse de Moroni, Olivier Drault, les élèves de la classe de Cm2 et 3ème ont pris la plume pour redonner vie à l’histoire des «tirailleurs comoriens», totalement méconnus dans les îles et très peu valorisés par la France pour laquelle, pourtant, ils s’étaient battus. Ainsi ces élèves ont mené auprès de descendants de tirailleurs comoriens des enquêtes qui ont révélé l’existence de plusieurs documents sur la bravoure de ces soldats.
Ils y sont décrits, souvent, comme étant des soldats aguerris n’aillant pas froid aux yeux, au front. «Les Comoriens se montrent fidèles. Ils veulent ressembler aux poilus, manifestent un certain mépris de la mort et s’entendent très bien avec les Somalis d’origine avec qui ils partagent la foi religieuse. Ils ont prêté le serment coranique ensemble», peut-on lire à la page 13 du livre.
14 médailles et un prince
Le Comorien semble afficher un certain manque de considération via à vis de son histoire en général et celle des tirailleurs de la Première guerre mondiale en particulier. Peut-on forger un avenir sans s’imprégner de son passé? C’est Winston Churchill qui disait qu’un peuple «qui oublie son passé n’a pas d’avenir». Cette pensée du grand homme d’Etat britannique semble d’actualité aux Comores où aucune stèle n’est érigée à la mémoire de ces braves hommes enrôlés de force pour combattre aux côtés de l’armée coloniale.
«Les tirailleurs somalis ont montré un courage et une endurance exceptionnels, malgré le marmitage intensif de gros calibres et les feux de mitrailleuses. Ils ont bravement nettoyé la grenade, les abris désignés et ont organisé la nouvelle position malgré une fatigue extrême après une marche des plus pénibles dans les trous d’obus, par la pluie, la boue, le froid et le brouillard. Tous les tirailleurs arrivés au dernier objectif sont plus ou moins contusionnés», révèle un témoignage en page 14.
Un portrait express de Saïd Houssein a été réalisé. Ce prince s’était engagé volontairement dans l’armée coloniale dès 1910 avant de s’enrôler à nouveau le 4 août 1916 pour la Première guerre mondiale. Plus rien ne semblait pouvoir arrêter le prince qui s’est, par la suite, porté volontaire le 25 octobre 1939 pour participer à la Seconde guerre mondiale.
Durant sa longue carrière de soldat, il a reçu quatorze médailles notamment la Croix de guerre et la médaille des blessés. Il a été Chevalier de la légion d’honneur et Grand cordon de l’étoile royale en 1948. Cerise sur le gâteau, Saïd Houssein devint le chef de la famille royale des Comores après la mort de son frère, Saïd Zaki, et portait le titre de «Prince sultan Saïd Houssein Ben Sultan Saïd Ali» (1959-1979).
Dans leur enquête, les auteurs du livre ont réalisé des entretiens avec les descendants du feu sergent Djoumanba Soilihi. La légende familiale raconte, notamment, qu’un avion allemand avait lancé une grenade sur un territoire français où se trouvait Djoumanba et que ce dernier l’aurait attrapé d’une main et, de l’autre, aurait lancé une mitraillette à un camarade de bataillon comorien qui s’en était saisi pour abattre l’avion.
«Djoumanba fut recruté de force. On annonça le payement des impôts et on rassembla les hommes sur les places publiques ou les mosquées. Les hommes les plus robustes furent choisis. Ils furent quatre à partir d’Ikoni ce jour. Certains se sauvèrent dans les champs pour se cacher jusqu’au départ du bateau», a raconté un descendant du sergent Djoumanda Soilihi.
Une «histoire oubliée»
Ce livre, tout comme Les Comores au service de la France (1914-1918), de Mmadi Hassani Abdillah, dévoile une liste de cent vingt-neuf soldats comoriens qui ont pris part à la Première guerre mondiale. Malheureusement, la mémoire de ces paysans généralement enrôlés de force est tombée dans l’oubli par manque d’écrits de la part d’historiens comoriens ou encore de réalisateurs. «L’histoire des Comores dans la Première guerre mondiale se caractérise par un sentiment d’oubli.
Ceci m’a conduit à mener pendant quelques années des recherches pour répondre à la problématique selon laquelle les Comoriens de la Grande guerre sont les oubliés de l’histoire, aussi bien de la micro-histoire que de la micro-histoire sociale. Aux Comores, aucune politique nationale n’a été conduite en faveur de l’histoire et de la mémoire nationale. Cet oubli est bien la preuve que les Comores restent un espace de recherche mal connu», soutient Mmadi Hassani Abdillah dans cet ouvrage publié aux éditions Coelacanthes.